Cet article est une adaptation de mon intervention au colloque « Fille, garçon : qu’est-ce que ça change ? » sur la thématique de l’identité de genre, organisé par l’organisme de formation l’Univers de Sylety près de Nancy le 8 février 2023. Une belle journée, riche en apprentissages et en réflexions sur le sujet.
De « ça ne change rien » à « ça change tout », cette fameuse question « Fille, garçon : qu’est-ce que ça change ? » a de quoi faire réfléchir, voire bousculer.
J’ai deux filles, de 3 et 5 ans.
Elles ne jurent que par le rose, la Reine des Neiges, les déguisements de princesses, les poupées barbies et les licornes.
Est-ce que c’est bien ou non ? Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à cette question.
Est-ce que ce sont des centres d’intérêts que nous, parents, ainsi que l’entourage familial et l’entourage plus large (ami·es, pros de la petite enfance, enseignant·es…) avons influencé, voire encouragé ? Très probablement !
Et sans forcément nous en rendre compte…
Parce que, depuis de nombreuses années, sans me revendiquer « féministe », je pense qu’il est important de veiller aux messages que nous transmettons à nos enfants. Messages verbaux, mais aussi non verbaux avec les images qu’on leur renvoie.
Oui, une fille peut aimer le bleu, les tracteurs, le bricolage, le sport et les super-héros.
Oui, un garçon peut aimer le rose, les poupées, être sensible, avoir besoin de câlins et vouloir avoir les cheveux longs.
Mais alors, dans quelle mesure les mots que nous employons peuvent les influencer dans leurs choix, leur développement et leur évolution ?
Quel est encore aujourd’hui pour nous adultes, l’impact de notre langue sur notre société ?
Je vous préviens par avance, je ne pourrai pas répondre parfaitement à ces questions. Je ne suis pas linguiste (j’ai juste mon modeste diplôme d’orthophoniste et deux années d’études en sciences du langage à mon actif), ni journaliste, ni politicienne… Mais simplement une femme qui lit, observe, réfléchit (en toute humilité 😂) et raisonne dans ce monde où « le féminin l’emporte sur le masculin ».
J’ai lu des choses vraiment très intéressantes, notamment dans ce livre : Le cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes, de Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey. Et je voulais vous les partager.
Mais d’abord, on va s’amuser un peu !
On joue comme chez l’orthophoniste
Pour commencer, je vous propose un petit jeu. Presque rien à voir avec le sujet de l’article, mais vous allez vite voir où je veux en venir.
Voici donc des cartes à trou, à compléter avec le mot que vous souhaitez. J’ai proposé ça il y a quelques jours à une demoiselle de 8 ans qui vient en séance chaque semaine, qu’on appellera Léa, je vous donnerai ses réponses.
Réponse de Léa : pompiers
Léa : bougies
Ma réponse : pareil !
Réponse de Léa : fraises
Ma réponse : cerises
Les deux sont acceptables et acceptées, j’ajouterais même pommes, tulipes, haricots, marguerites… Le choix est bien vaste !
Une autre, avec plusieurs possibilités :
Réponse de Léa : montre
Ma réponse spontanée : voiture
Mais on aurait probablement pu dire poupée, non ?
Ou peut-être qu’on aurait plus facilement répondu « poupée », si la proposition de phrase avait été « As-tu vu la ………… neuve de ma sœur » ?
Une dernière :
Réponse de Léa : course
Ma réponse : « J’aurais bien eu envie de dire poupée ou dînette, mais bon, ça aurait été plus facile si ça avait été deux filles, et pas deux garçons »
Et vous, vous auriez répondu quoi ?
Avouez que « poupée » viendrait directement si ça avait été Johanne et Julie, mais que là, Jérémy et Julien on ne pense pas spontanément à ça… Alors qu’ils ont tout à fait le droit, et autant que des filles, de jouer à la poupée !
Jouer à la poupée, c’est très riche, ça amène plein de scénarios et d’idées d’histoires. On peut lui préparer et lui donner à manger, s’en occuper, l’amener avec nous vivre plein d’aventure, on peut l’inclure dans plein de jeux où l’on fait semblant.
Ces jeux de « faire-semblant », qui vont évoluer en « jeux symboliques », permettent aux enfants d’entrainer non seulement leur imagination, mais aussi leur capacité de raisonnement, d’organisation, de planification, d’anticipation, de résolution de problèmes, de réflexion… Bref, des indispensables pour les acquisitions pré-logiques des petit·es.
Comme quoi, jouer à la poupée, qu’on soit fille ou garçon, ça n’a que des avantages !
Pourtant, quand on voit Jérémy et Julien, notre cerveau a du mal de dire spontanément qu’ils jouent à la poupée.
Autre expérience…
Trouvez 3 adjectifs que vous pourriez employer quand vous voyez une petite fille pour la complimenter à ses parents.
De même, trouvez 3 adjectifs que vous pourriez employer quand vous voyez un petit garçon pour le complimenter à ses parents.
Ces adjectifs sont-ils les mêmes ?
Pour pousser encore plus loin le test, les auteurs Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey proposent d’habiller un bébé / jeune enfant en vêtements neutres, dire aux gens que c’est alternativement un garçon ou une fille, et noter les adjectifs et comportements des gens.
Pour un même enfant, vous aurez probablement des mots bien différents !
Les filles (mais aussi les femmes) sont souvent décrites comme douces, gentilles, calmes, fragiles, gracieuses, créatives, imaginatives…
A l’inverse, les garçons (puis hommes) s’entendront plus souvent qualifiés de costauds, musclés, résistants, vigoureux, athlétiques, compétitifs, sportifs, bons en raisonnement…
Mais alors, pourquoi une telle différence de mots employés et avec quelles conséquences ?
Ce phénomène est très bien décrit dans le livre Le cerveau pense-t-il au masculin ? et je vais essayer de vous le résumer !
Une questions d’ampoules !
Un cerveau rempli d’ampoules
Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey suggèrent de considérer le cerveau comme un espace rempli d’une multitude d’ampoules.
Quand on produit ou qu’on entend un mot/une idée, les ampoules qui correspondent à ce mot s’allument.
Pour qu’un mot nous vienne à l’esprit, toutes les ampoules liées à ce mot doivent être allumées complètement, ce qui nous demande de l’énergie.
Alors, pour économiser de l’énergie, le cerveau laisse quelques ampoules allumées en permanence. Ainsi, cela demandera moins d’efforts pour les rallumer complètement.
Par exemple
Si on parle d’une « bière qu’on met dans la voiture » : on ne pense pas tout de suite à un cercueil, car le lien entre « bière » et « boisson » est déjà allumé comme il est très fréquent.
Dans notre tête, bière = boisson.
Mais comme on vient d’évoquer un « cercueil », l’ampoule a été activée et maintenant, notre pensée a changé quand on lit « bière qu’on met dans la voiture ».
Et pour parler des filles et des garçons
C’est la même chose.
A force d’être allumées, les ampoules associées aux filles et aux garçons vont rester de manière constantes un peu allumées.
Donc, les mots associés seront choisis en premier lorsqu’on parlera de femmes/filles ou d’hommes/garçons.
Quel est le problème ?
Hé bien en fait, il est de taille !
On part du principe que toutes les femmes/filles (ou hommes/garçons) partagent les mêmes caractéristiques.
Cette association est presque automatique puisque notre cerveau fait toujours tout pour économiser l’énergie et donc faire des raccourcis.
Mais lorsqu’une personne a un comportement qui ne correspond pas du tout au mot activé, l’énergie requise pour résister à cette activation est énorme !
Par exemple, imaginons que vous regardiez un match de boxe entre deux femmes. Pour que votre cerveau arrive à trouver les mots « agressives et musclées« , il va lui falloir fournir un double effort :
- éteindre les ampoules liées aux femmes « douce, calme…« , qui sont déjà un peu allumées
- allumer des ampoules qui sont rarement activées pour des femmes « agressive, musclée…«
En fait, nous avons beaucoup de mal à voir le monde autrement qu’au travers des catégories que l’on exprime quotidiennement.
Les journaux, les médias, les films, les romans, les essais, les bandes-dessinées, l’école… nous exposent constamment à ces catégories et consolident de ce fait les associations mots-idées dans notre cerveau (et donc gardent les ampoules pré-allumées !).
Nous aussi, quand nous nous exprimons, véhiculons ces idées et les consolidons en exposant les autres à ces associations.
Même Google a des a priori !
En français, on a un genre aux mots : UN homme, UNE femme, LA fille, LE garçon…
En anglais, il n’y a que le déterminant « a » ou « the », c’est neutre : a man, a woman.
Mais quand on demande à Google traduction de traduire « a surgeon » (chirurgien) et « a nurse » (infirmier·e), voilà comment il les traduit :
« A surgeon » est traduit au masculin. D’ailleurs, le féminin de chirurgien n’existe pas, une femme chirurgien est « un chirurgien ».
« A nurse » est traduit au féminin ! Pourtant les infirmiers hommes existent bel et bien, je peux vous l’assurer personnellement !
Enfin, en terme de neutralité, l’anglais est tout de même plus facile 🙂
Allez, un autre exemple pour regarder un peu notre langue différemment !
Formons des couples
A vous de réfléchir :
Voici 30 prénoms : pouvez-vous former 8 couples « hétérosexuels » avec des prénoms qui vont bien ensemble ?
Robin, Léna, Paul, Charline, Stéphane, Émilie, Gabin, Emma, Martin, Carole, René, Catherine, Pierre, Sarah, Jean, Morgane, Daniel, Élodie, Luc, Huguette, Liam, Céline, Franck, Clémence, Enzo, Louna, Christophe, Noémie, Patrice, Hélène.
Alors, que proposez-vous ?
Je vous laisse associer les prénoms des 8 couples et les dire à haute voix.
Et je vais vous expliquer où je veux en venir !
C’est bon, vous les avez ?
Alors, ma question maintenant c’est : avez-vous mis le prénom des femmes ou des hommes en premier ?
L’ordre de mention a son importance !
La synthèse des recherches sur le sujet montre que l’ordre de mention est principalement lié à l’importance perçue de ces deux entités : on nomme ce qui nous semble le plus important en premier.
Objets : une table et une chaise (le plus grand en premier)
Humains : mère et fille (personne la plus âgée en premier)
Mais aussi souvent homme en premier : homme et femme, mari et femme, frère et sœur, oncle et tante, cousins-cousines, copains-copines…
Il existe toutefois une exception : Mesdames et Messieurs, qui est plutôt un ordre paternaliste, par galanterie (comme on laisse passer la femme en premier quand on entre quelque part, par exemple).
Alors, maintenant vous réfléchirez avant de dénommer les couples de votre entourage 😅
La langue française et ses particularités
Une nouvelle fois, les informations que je vais vous présenter là sont issues du livre Le cerveau pense-t-il au masculin ? de Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey.
Regardez cette phrase :
« Pour lutter contre la propagation du virus, le médecin de l’hôpital a demandé aux collégiens de se laver les mains le plus souvent possible« .
Le médecin est-il une femme ou un homme ? Impossible de le savoir.
Les collégiens : est-ce un groupe d’une totalité de garçons ? D’un garçon et plein de filles ? De moitié de garçons et de filles ?
Notre cerveau, en lisant « collégiens » va devoir analyser s’il doit choisir :
- le sens spécifique : masculin = groupe d’hommes
- le sens générique : masculin = neutre/mixte, sachant que ce sens est tout de même ambigu : majorité d’hommes ? De femmes ? Moitié-moitié ?
« Le masculin l’emporte sur le féminin » : vraiment ?
Vous saviez qu’avant, notre langue était plus neutre ?
C’est vers le 17ème siècle que la langue s’est masculinisée pour « homogénéiser » mais aussi pour montrer la supériorité du masculin (!!!)
Par exemple, « autrice », qui existait depuis très longtemps, vient du latin auctrix, a disparu d’une des premières versions du dictionnaire de l’Académie Française pour signaler simplement aux femmes et à la société que ces activités sont réservées aux hommes.
L’Académie Française, mais aussi les pressions patriarcales (qui ont été (et sont) très fortes) ont masculinisé la langue et ont fait disparaitre les mots professeuse, mairesse, philosophesse, médecine, poétesse…
C’est dommage, parce qu’ils étaient jolis ces mots, vous ne trouvez pas ?
Et aujourd’hui, les femmes sont effacées de la langue…
Lorsqu’un nom de groupe est donné au masculin (les musiciens, les politiciens…), on aura tendance à l’imaginer composé d’hommes.
Vous voulez des exemples ? Dans ces phrases, vous voyez plutôt des hommes ou des femmes ?
Les femmes de ménage étaient déjà au travail. => on imagine un groupe de femmes
Les cardinaux montèrent dans le bus. => on imagine un groupe d’hommes
Les chirurgiens prenaient un café. => on imagine un groupe d’hommes
Les jeunes filles attendaient près des affiches. => on imagine un groupe de femmes
Les promeneurs admiraient le paysage. => on imagine un groupe d’hommes
Les jeunes hommes sortaient de la confiserie. => on imagine un groupe d’hommes
Quand la phrase ne comporte pas de féminin, on a tendance à visualiser des hommes… Et ça ne vient pas que de nous, puisque toutes les études montrent que c’est effectivement le cas !
A l’heure actuelle, le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale.
Notre langue est « androcentrée »
Non seulement les formes féminines des mots ont disparu, mais les noms de groupes de personnes sont systématiquement mis au masculin !
Notre langue est donc très masculinisée, ou androcentrée.
Androcentrisme : terme qui désigne un mode de pensée, conscient ou non, consistant à envisager le monde d’un point de vue masculin qui serait universel.
Le masculin est « universel », il « l’emporte sur le féminin »… Quand on prend conscience de ça, avouez que c’est dommage de regarder sans rien faire !
Il existe des solutions !
Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey proposent d’utiliser le langage inclusif selon deux modalités :
- la neutralisation
- la reféminisation
Je vais vous les présenter rapidement.
Outils de neutralisation
Il en existe 4 principaux, que je vais vous présenter rapidement avec un ou deux exemples.
1. La reformulation dégenrée
On tourne notre phrase de façon à éviter d’utiliser un genre.
Ex : « les participants ont trouvé la fête fantastique » = « la fête était fantastique »
2. La substitution par le groupe
On utilise un terme générique neutre.
Ex : au lieu de parler de la directrice ou du directeur, on peut substituer par « la direction »
3. Les thèmes épicènes
Il s’agit de l’utilisation de termes neutres, n’indiquant pas de genre particulier.
Ex : les personnes, les biologistes
Ex : « les personnes en train d’étudier » plutôt que « les étudiantes et étudiants »
4. L’adressage direct
On simplifie la phrase en étant plus direct.
Ex : « les étudiantes et étudiants qui souhaitent s’inscrire cliquent ici » peut être remplacé par : « si vous souhaitez vous inscrire, cliquez ici »
Concernant ces outils…
Peu d’études ont été faites sur leur utilisation et leur effet.
Il reste à noter que certains termes neutres ou épicènes peuvent générer des représentations masculines puisque nous vivons dans une société androcentrée (humain, enfant, gens…)
Par ailleurs, en français, on a inventé « iel », fusion entre IL et ELLE, qui est intéressant, mais a le désavantage de représenter le masculin en 1er.
La reféminisation
1. Les doublets
C’est lorsqu’on utilise les formes féminines et masculines.
Ex : les enseignantes et enseignants
Mais ça implique quelques questions :
- Quel ordre ? Aléatoire ?
- Comment accorder les déterminants, adjectifs et participes passés ? Accord de proximité (on accorde au plus près) ou accord de choix (le plus important) ?
- Quel féminin employer ? Ex : professeur n’a pas de féminin
2. Les doublets contractés à l’écrit
C’est l’écriture inclusive qu’on voit beaucoup aujourd’hui. Elle a le mérite de faire gagner de la place à l’écrit contrairement aux doublets non contractés présentés juste avant.
Ex : mécanicien.ne.s ou mécanicien·ne·s
Savez-vous faire le point médian · ? Sur le clavier, il faut taper « alt » et en même temps « 250 ».
Là encore, avec les doublets contractés, plusieurs questions se posent :
- Comment faire au pluriel : 1 ou 2 points médians ? Les écrivain·es ou Les écrivain·e·s
- Comment faire avec les mots dont les formes diffèrent policièr·e·s ou policier·ère·s ?
L’écriture inclusive, c’est embêtant ?
En 2007, une expérience a été menée, visant à tester la lisibilité de deux formes de langage inclusif : le doublet (les mécaniciens et mécaniciennes) et le doublet contracté avec traits d’union (les mécanicien-ne-s).
Dans cette expérience, cinq petits textes décrivant des métiers étaient présentés, sous quatre formes possibles : au masculin, au féminin, avec des doublets, avec des doublets contractés. Dans les textes, les métiers étaient nommés explicitement trois fois : une fois au début, une fois au milieu et une fois à la fin. Les textes étaient présentés une phrase après l’autre, et les personnes interrogées devaient simplement presser la barre espace de leur clavier pour passer d’une phrase à l’autre. Les temps de lecture pour chaque phrase étaient donc mesurés.
Le cerveau pense-t-il au masculin ? Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey
L’expérience a montré de manière assez claire que, pour les deux versions contenant une forme de langage inclusif, la première occurrence d’une forme inclusive ralentissait la lecture, mais qu’à la troisième occurrence, le temps de lecture ne différait plus entre les formes.
Cette expérience montre ainsi que le temps nécessaire pour s’habituer à une nouvelle forme est très court.
En conclusion sur ces outils
Il est possible que certaines formes de doublets contractés, comme directeur·trice puissent poser quelques ralentissements lors des premières lectures, ou encore des problèmes pour des personnes souffrant de dyslexie.
Mais nous utilisons déjà des apostrophes, accents ou même des mots dont la prononciation n’est pas transparente, comme oignon ou monsieur, et nous nous y sommes adaptés.
Le point médian est un signe de plus à s’approprier, mais qui va permettre d’intégrer les formes féminines dans la langue… Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
Une notion importante à garder à l’esprit : plus l’exposition à des formes de langage inclusif est grande, plus elles sont acceptées.
« Aucune instance, même si elle se dit officielle ou supérieure, ne peut dicter l’usage. C’est à vous de décider de vos manières de parler. […] Alors, osez la nouveauté, et inventez même, car souvenez-vous : comme l’attestent les mots compositrice et sénatrice, décriés dans les années 1980 pour leur sonorité désagréable, une forme surprenante pour les yeux et les oreilles ne le demeure pas longtemps. »
Le cerveau pense-t-il au masculin ? Ute Gabriel, Pascal Gygax et Sandrine Zufferey
Maintenant qu’on a détaillé l’androcentrisme de notre langue et que j’ai pu, j’espère, vous apporter quelques éclairages à ce sujet, je vous propose de revenir à l’enfant.
L’enfant qui apprend à parler
Le langage se développe en plusieurs grandes étapes, décrites par Alain Bentolila dans Le verbe contre la barbarie : je vais vous les présenter rapidement.
La dénomination
Avec ses premiers mots, l’enfant associe un mot à un élément dans la réalité. Il exprime ainsi soit une demande (« biberon » pour « je veux mon biberon ») ou une désignation (« chat » pour « c’est le chat »).
De la dénomination à la détermination
Petit à petit, l’enfant est capable de mettre une distance entre les mots prononcés et la réalité : il comprend qu’on peut parler de ce qui n’est pas visible.
Il comprend aussi qu’un même mot suggère des représentations multiples du monde (par exemple, le mot « chien » permet de parler de différents chiens qu’il connaît, différentes races).
Il devient donc indispensable pour la personne qui parle d’apporter des précisions qui assureront la compréhension des représentations que construit le destinataire du message.
Les mises en liens
Une fois là, il ne s’agit donc plus de juxtaposer simplement des mots isolés, mais de les mettre ensemble pour construire une relation globale.
Les mises en liens servent à identifier et construire des relations. Elles permettent de parler du monde et même des choses qui ne sont pas directement présentes.
Quelques exemples :
- Récurrence : «encore bonbon»
- Disparition : «apulapin»
- Attribution :«c’est chaud»
- Possession : «doudou bébé»
- Bénéfice : «pour papa»
- Agent-action-objet : «bébé mange tartine»
- Agent-action-localisation «papa travaille bureau» …
Et les phrases construites
Avec l’enrichissement de la syntaxe et l’apport de précisions : reformulations, détails, nuances…
Là, l’enfant va utiliser du vocabulaire temporo-spatial, de quantités, de comparaisons, de cause à effet… Des mots et notions indispensables au quotidien !
Que faut-il pour en arriver là ?
Ce sont toutes les situations du quotidien qui permettent à l’enfant d’entendre les mots et phrases, d’interagir avec les adultes de son entourage et de commencer à parler.
Vous aurez beaucoup de détails dans mon article et ma vidéo 15 conseils pour aider un enfant à développer son langage naturellement.
Tous les moments sont bons pour échanger : temps des repas, du change, du bain, en promenade, en jouant…
Et dans les moments de jeu, les jouets/objets à disposition de l’enfant vont lui permettre de développer des scénarios. Il est donc important de veiller à ce que l’enfant puisse avoir accès à des jouets variés…
Par exemple, comme on l’a évoqué plus tôt, les petits garçons ont le droit de jouer à la poupée 🙂
Les troubles du neuro-développement (TND)
Le neuro-développement recouvre l’ensemble des mécanismes qui, dès le plus jeune âge, et même avant la naissance, structurent la mise en place des réseaux du cerveau impliqués dans la motricité, la vision, l’audition, le langage ou les interactions sociales. Quand le fonctionnement d’un ou plusieurs de ces réseaux est altéré, certains troubles peuvent apparaître : troubles du langage, troubles des apprentissages, difficultés à communiquer ou à interagir avec l’entourage.
Livret de repérage Parents et pros de la petite enfance, soyons attentifs ensemble au développement de votre enfant – handicap.gouv.fr
Les grands types de TND sont :
- Le trouble du spectre de l’autisme (TSA)
- Le trouble du développement
- Les troubles « DYS : dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyscalculie, dyspraxie
- Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H)
Les TND chez les filles et chez les garçons
Les études montrent que les garçons sont plus à risque de présenter certains troubles du neuro-développement. Par exemple, le TDA/H et le TSA touchent 3 à 4 fois plus les garçons que les filles.
Les garçons sont également plus touchés par les troubles des apprentissages, les troubles du langage, la dyslexie et la dysphasie.
Mais, qu’on se rassure, les jouets qu’on propose à l’enfant ou tout ce qu’on pourra lui dire ou faire avec lui ne provoquent pas de troubles du neuro-développement.
On naît avec.
En revanche, rien ne nous empêche d’être attentifs sur tout ce qu’on peut dire ou faire avec les enfants, filles ou garçons, et ne pas se cloisonner à certains types de propos ou de jouets 😉
Pour conclure
Le langage est un outil magnifique, qui influence non seulement notre manière de voir le monde, mais également notre manière de penser et notre manière de nous comporter.
A nous de puiser dans notre immense stock de mots pour utiliser les plus justes et les plus adaptés, tout en étant vigilants à ne pas influencer la réalité avec nos propos.
Ne nous fermons pas de portes et essayons de prêter attention à nos mots au quotidien pour désigner les filles et les garçons.
Et n’ayons pas peur de la reféminisation de notre langue !
Nathalie